Tunisie : Le contexte et ses enjeux

J’ai été l’invité de Cordoba Peace Institute à Genève (CPI), une organisation suisse qui a fêté ces jours-ci ses 20 ans d’existence. Ce que cette organisation a fait tout au long de sa carrière relativement courte dépasse sa taille et ses capacités humaines et financières. L’institut s’est fixé pour objectif stratégique de « prévenir la violence, transformer les conflits et promouvoir la paix ».
Par Ahmida Ennaifer et Maher Zoghlami
Par Ahmida Ennaifer et Maher Zoghlami
L’expérience de la transition démocratique depuis les élections présidentielle et législative de 2019 connaît un net déclin politique qui menace l’entité de l’État dans ses acquis les plus importants et les points les plus saillants de son efficacité. Cette désintégration a lieu avec la séparation de la gouvernance de la réalité sociale en raison d’un certain nombre de facteurs entrelacés, y compris ceux liés à la disparition des actions des institutions constitutionnelles, ceux liés à l’érosion de la culture de l’État et de la démocratie, et d’autres révélant le bouleversement du champ politique public.
La scène politique en Tunisie a connu depuis la dissolution du Parlement et la destitution du gouvernement le 25 juillet 2021, sur la base d’une interprétation controversée du sens de l’article 80 de la Constitution tunisienne, un compte à rebours dans lequel les institutions officielles ont rendu flou la vision de l’état. Cela résultait notamment de la suspension de la constitution de 2014 et de la déstabilisation de la vie démocratique par une tentative de centralisation totale du pouvoir, qui a fait perdre au champ politique et civil toutes ses normes.
Ce que le chercheur ne doit pas perdre de vue au moment du 25 juillet 2021, c’est sa signification complète, ce qui lui a ouvert la voie et ce qui lui a permis de provoquer le changement. L’importance de ce moment révèle la profondeur du dilemme politique, social, économique et psychologique, qui a réduit à l’échec toute tentative d’empêcher la décadence de la scène politique, qui méprise le pluralisme et rejette la voie démocratique.
Au cœur du problème
La nature de ce dilemme réside dans la fragilité de la culture démocratique après dix ans de révolution, incarnée par trois obstacles majeurs : (1) La fragmentation de la classe politique et son incapacité à s’engager dans une démarche participative efficace ; (2) L’arène politique et civile encombrée d’« intrus » incapables d’apprendre la culture de l’action politique et ses règles généralement acceptées ; (3) L’échec des institutions officielles existantes dans la gestion du pluralisme culturel et politique, qui a exacerbé la division identitaire et sociale, mettant en évidence la nature de l’État central et son incapacité à réaliser le développement et la justice.
À partir de ces défaillances, le phénomène de corruption s’est élargi pour s’étendre à l’institution législative, ainsi que les institutions exécutives et éventuellement judiciaires, ce qui a rompu le projet de contrat social entre l’État et la société, dont la révolution ouvrait la voie, et dont la construction n’est pas encore achevée. Ainsi, il n’a pas été possible de lancer des réformes profondes qui permettraient un développement durable, une économie à haute valeur ajoutée et un bien-être général, car la qualité de vie est conditionnée à l’arrivée au bout du chemin de la construction institutionnelle et de la stabilité politique.
Également, l’élite politique n’a pas pu réussir dans son action politique, ce qui a conduit à sa fragmentation en raison de sa perte de la base de connaissances rationnelles qui construit les visions politiques et développe les capacités conceptuelles sur lesquelles les programmes et projets sont basés. La perte de ce socle rationnel de connaissances a empêché la création d’un socle social et culturel commun, qui contribue qualitativement à combler les différents clivages vers une construction nationale commune à laquelle contribuent toutes les forces vives, loin du factionnalisme et de l’exclusion.
Le futur, un récit alternatif
Le défi posé par le dilemme actuel est celle du dépassement du conflit destructeur d’antagonisme entre les élites, et la façon de contribuer à rétablir la confiance entre le public et les élites culturelles, intellectuelles, politiques et économiques. Il s’agit de savoir comment converger autour d’une « vision future de la Tunisie » avec un récit alternatif qui reconnaisse la nécessité d’un compromis ou règlement historique sans lequel citoyenneté, souveraineté et justice n’ont pas de sens.
La base de ce récit alternatif pour la Tunisie est la pluralité et différence en son sein et par rapport à son passé récent et lointain, ses composantes arabe, africaine et méditerranéenne et son parcours. En effet, il n’est pas possible de construire des politiques nationales internes si ce n’est en faisant diagnostic des situations régionales et internationales, et en ayant une vision précise de celles-ci. D’autre part, la politique étrangère de la Tunisie ne peut être efficace sans parvenir au règlement historique souhaité sur le plan interne.
Trois enjeux peuvent contribuer à l’établissement de ce récit alternatif : (1) Le pari de former de nouvelles élites en développant une pensée politico-civilisationnelle/ des valeurs, notamment chez les jeunes ; (2) Le pari de sensibiliser l’individu en représentant les besoins de la situation globale en termes d’exigences stratégiques et environnementales ; (3) Le pari d’un positionnement social qui réalise la valeur d’une solidarité active, capable de créer de la richesse et de consolider la valeur du travail créatif.
Ce sont les composantes du projet de « transition générationnelle » qui construit le commun avec une culture politique différente, en passant en revue les expériences de la différence et en surmontant le danger d’hériter et reproduire l’ancien conflit. La base de ce projet est la « rationalisation de l’action politique » par la mise en œuvre d’un certain nombre d’activités qui combinent études analytiques, séminaires et dialogues politiques pour rapprocher les points de vue, formation, accompagnement, mise en réseau et partenariats.