Nassim Kiamouche: Discours démocratique et inclusion politique au Mali

Nassim Kiamouche: Discours démocratique et inclusion politique au Mali

En marge de la clôture du Sommet de l’Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique, le président François Hollande a raffermi la position de la France au Mali en plaidant pour le désarmement du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) et pour son inclusion dans un dialogue politique avec Bamako. La déclaration du chef d’Etat français intervient comme une réponse au communiqué du 29 novembre dernier où le vice-président de l’organisation indépendantiste touarègue a mis fin au cessez-le-feu négocié quelques mois plus tôt lors des accords de Ouagadougou. Si le compromis alors trouvé était parvenu à contourner la question épineuse du désarmement du MNLA en assurant la tenue des élections législatives du 24 novembre dernier, la reprise des tensions marque l’épilogue d’une parenthèse aux allures démocratiques censée préparer les conditions d’une sortie de crise. Une parenthèse basée sur des accords fragiles qui ont certes permis l’organisation des élections présidentielles de juillet 2013, mais qui n’ont en rien changé la position de Bamako et de ses alliés étrangers vis-à-vis des revendications touarègues.

L’attitude de la communauté internationale, menée par la France et l’Union Européenne[1], relaie en effet le ton menaçant de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à l’égard d’une contestation touarègue vieille de plus d’un demi-siècle. Au mois d’avril 2012, suite à la proclamation de l’indépendance de l’Azawad, territoire des populations touarègues au nord du Mali, un communiqué de la CEDEAO avait réaffirmé que « le Mali est “un et indivisible” et qu’elle usera de tous les moyens, y compris le recours à la force, pour assurer l’intégrité territoriale du pays. »[2] Une menace visant, il est vrai, les nombreux groupes affiliés ou dissidents d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) présents dans la région, mais aussi des populations géographiquement et politiquement isolées que le gouvernement de Bamako et ses alliés européens peinent à inclure dans leur projet démocratique. Le traitement gouvernemental à l’égard de la cause autonomiste de l’Azawad, y compris dans sa version laïque telle qu’exprimée dans les rangs du MNLA, représente aujourd’hui encore l’un des principaux obstacles à l’émancipation démocratique du pays.

Fondé en octobre 2011 par la fusion de deux mouvements antérieurement impliqués dans des actions contre le gouvernement malien, les revendications du MNLA s’inscrivent dans la longue histoire des luttes des populations touarègues contre des Etats centralisateurs. Selon des récits plus ou moins mythifiés, ces luttes auraient débuté entre la fin du 19e siècle et l’indépendance du Mali. Lorsque les frontières tracées par l’administration coloniale intégrèrent les nomades dans des Etats en tant que citoyens maliens, nigériens, algériens ou libyens dans les années 1960, les populations touarègues du nord Mali prirent les armes dans la région de Kidal. Sévèrement réprimées par les forces maliennes, ces « rébellions touarègues » cristallisent les tensions entre ces communautés et le nouvel Etat. Pour les Touaregs habitués à une forme d’autogestion compatible avec leur mode de vie nomade, le sentiment d’être « recolonisé » par des fonctionnaires originaires du sud du pays alimente les rancœurs à l’égard d’une administration sourde à leurs revendications et accusée des pires exactions[3]. Pour le régime socialiste nouvellement indépendant de Modibo Keita (1960-1968), les Touaregs, opportunistes et déloyaux, menacent l’intégrité territoriale en revendiquant un pays imaginaire et illégitime[4].

Sur fond de frustration économique et de tensions intercommunautaires, les passions s’exacerbent dans les décennies suivantes. L’étincelle a plusieurs fois embrasé le nord du Mali, à mesure que les tensions se diluaient dans l’ensemble du pays : en 1990 avec l’insurrection du Mouvement Populaire de l’Azawad , en 1994 lors de la guerre entre le mouvement patriotique Ganda Koy et le Front Islamique arabe de l’Azawad et en 2006 avec le soulèvement de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement[5]. Evénements auxquels on peut rajouter les activités des organisations Touarègues au nord du Niger. Et si les accords de paix prévus à chaque sortie de crise font miroiter au nord Mali des programmes de développement et une autonomie renforcée dans l’optique d’un retour à la paix, aucune de ces initiatives n’a trouvé d’application durable et n’a pu empêcher la marginalisation progressive des nomades[6].

Aussi, lorsqu’en janvier 2012 le MNLA déclenche une nouvelle insurrection, le spectre de l’histoire récente des revendications touarègues ressurgit à la lumière du contexte géopolitique sahélien et nord-africain. L’effondrement de la dictature libyenne a été considéré par beaucoup d’observateurs comme la clé de voûte à l’origine de l’instabilité dans la région. Le retour des combattants touaregs lourdement armés engagés aux côtés de Muhamar Kadhafi et la porosité des frontières ont transformé le territoire du nord-Mali, difficilement contrôlable, en une plateforme de trafics en tout genre[7]. Plongé dans une profonde crise politique après le putsch militaire de mars 2012, provoqué en partie par l’incapacité chronique de Bamako à trouver une issue aux menaces indépendantistes, l’Etat malien a été incapable de juguler l’implantation de groupes armés liés aux activités d’AQMI dans la région. Des groupes recrutant volontiers au sein des combattants touaregs ayant fait leurs armes lors des troubles indépendantistes des années 90. C’est notamment le cas du groupe Ansar Dine, dirigé par un touareg et allié éphémère du MNLA lors de la conquête des villes de Gao, Kidal et Tombouctou.

Après l’intervention militaire étrangère visant à déloger ces groupes des principales villes du nord du Mali, l’élection présidentielle de septembre 2013 a redonné un semblant de consistance à un Etat malien exsangue. Alors que les affrontements ont pris l’allure d’une guérilla confuse contre les émanations d’AQMI et divers groupes indépendantistes touaregs, le MNLA a choisi lors des accords signés à Ouagadougou en juin 2013 d’adopter une position plus conciliante après sa volte-face à ses alliés de fortune d’Ansar Dine, dans le but d’assurer la tenue des élections présidentielles[8]. Sans doute, l’offensive militaire menée notamment par les troupes françaises a rapproché le MNLA de Bamako, ce qui reste une condition indispensable à une sortie de crise. Il aura cependant suffi d’une manifestation contre la visite du Premier Ministre malien dans le fief touareg de Kidal pour montrer que les accords signés à Ouagadougou n’ont pas occulté longtemps les blocages des négociations qui butent sur le statut de l’Azawad. Ainsi, pour un MNLA désorganisé et en partie discrédité, l’écran de fumée démocratique de ces derniers mois n’a pas suffit à occulter les réalités de l’exclusion politique, d’autant que la ligne directrice de Paris et Bamako tend vers l’intransigeance. Reste à déterminer comment un Etat se voulant démocratique et les soutiens étrangers dont ils disposent peuvent continuer à évoquer les thèmes d’unité nationale et d’intégrité territoriale en négligeant une question touarègue qu’ils évitent depuis l’indépendance du pays. Une question actuellement marquée par sa composante territoriale, mais qui se reflète dans un cas de développement économique inégal entre le Nord et le Sud non sans rappeler les paramètres (disparités Nord/Sud, groupes armés radicalisés…) des tensions qui secouent parallèlement le nord du Nigéria.

Nassim Kiamouche pour la Fondation Cordoue de Genève


[1] La communauté internationale rejette l’indépendance du Nord Mali in le Monde, 6 avril 2012 [En ligne] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/04/06/mali-les-rebelles-touareg-du-mnla-proclament-l-independance-du-nord-du-pays_1681483_3212.html ( Consulté le 27 novembre 2013).

[2] Communiqué de presse de la CEDEAO [En ligne], http://news.ecowas.int/ (Consulté le 27 novembre 2013).

[3] Lettre Ouverte du Mouvement National de Libération de l’Azawad au Peuple Malien, site officiel du MNLA [En ligne], http://www.mnlamov.net/actualites/34-actualites/51-lettre-ouverte-du-mouvement-national-de-lazawad-au-peuple-malien-.html (Consulté le 28 novembre 2013).

[4] Mali : les Touaregs, un peuple dans la tourmente in L’Express, 25 janvier 2013 [En ligne] http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/mali-les-touaregs-un-peuple-dans-la-tourmente_1213530.html (Consulté le 28 novembre 2013).

[5] BOILLEY Pierre, les Touaregs entre contraintes géographiques et constructions politiques.

[6] KRINGS Thomas, Marginalization and Revolt among the Tuareg in Mali and Niger in GeoJournal, Vol. 36, No 1, 1995, pp. 58-60.

[7] La nouvelle géopolitique post-Kadhafi explique les problèmes actuels au Mali in Le Monde, 12 mars 2012 [EN ligne], http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/12/la-nouvelle-geopolitique-post-kadhafi-explique-les-problemes-actuels-au-mali_1652756_3212.html (Consulté le 27 novembre 2013)

[8] Mali: les grandes lignes de l’accord signé à Ouagadougou, RFI, 19 juin 2013 [En ligne], http://www.rfi.fr/afrique/20130619-mali-grandes-mesures-accord-signe-ouagadougou (Consulté le 28 novembre 2013)

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