Négociations au Sahel Central

Négociations au Sahel Central

Le Sahel central compte presque une décennie d’instabilité et de violence où depuis cinq ans au moins le nombre de tués, de blessés et de déplacés dans des opérations militaires ou du fait de ces opérations, augmentent chaque année au Mali, au Burkina Faso et au Niger…

Moktar Aoufa

 

1. Introduction

Le Sahel central compte presque une décennie d’instabilité et de violence où depuis cinq ans au moins le nombre de tués, de blessés et de déplacés dans des opérations militaires ou du fait de ces opérations, augmentent chaque année au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Pour les seuls premiers neuf mois de l’année en cours, on dénombre selon le HCR :

• 4 277 577 de réfugiés et de déplacés internes
• 2,4 millions de déplacés internes dont 1,42 million au Burkina Faso
• 292 incidents recensés ayant causé la mort de 650 personnes et un nombre infini de blessés

Un nombre important et varié de porteurs d’armes sont responsables de cette violence inouïe. En plus des groupes armés non-étatiques (GANE) : les trois succursales du djihadisme, Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM), Ansarul Islam et l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), il y a les Armées Gouvernementales, l’Opération Barkhane de l’Armée Française, Takouba, une Opération montée et financée par les Européens, la Force Conjointe du G5 Sahel, les différentes milices d’autodéfense, les trafiquants et les bandits.

Depuis 2017, on a commencé au Mali à parler de négociations avec les GANE, notamment lors de la Conférence d’entente nationale et autres forums nationaux. Mais la politique de diabolisation des GANE dans la communication officielle ne pouvait s’accommoder d’une reconnaissance de facto qu’impliqueraient les négociations, en plus du refus maintes fois réitéré par la France de tout commerce avec les « terroristes ». Cette demande de dialogue va devenir de plus en plus pressante, avec l’échec patent de la solution militaire (en 2013, à l’arrivée de Serval, seul le nord Mali était affecté par la violence armée, en 2021, presque tout le Mali, une grande partie du BF, deux régions du Niger, sont impactés, sans parler des menaces qui pèsent sur la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Sénégal, le Togo, le Ghana, etc.) et la montée du sentiment anti-français dans les couches jeunes de la population.

Néanmoins, il appert que les autorités françaises savent fermer les yeux et faire semblant d’ignorer les négociations quand elles en attendent des dividendes. Ainsi en octobre 2020, le Mali a négocié par l’entremise d’Ahmada Ag Bibi, homme politique malien, un accord avec JNIM pour la libération du dernier otage français au Sahel à l’époque, Sophie Pétronin et de l’opposant malien Soumaïla Cissé contre l’élargissement de plus de 200 combattants détenus dans les prisons de Bamako.

2. Négocier Pourquoi ?

Les Etats ne choisissent de négocier avec une insurrection, appelés dans la communication publique officielle, « bandits, terroristes, mercenaires étrangers, etc. », qu’à leurs corps défendants. Ils le font le plus souvent pour trois raisons majeures :

1) Quand aucune victoire indéniable sur les insurgés n’est en vue ! Le plus souvent, après quelques années de campagne militaire, les troupes gouvernementales commencent à craindre l’enlisement suivi inévitablement par un effondrement du Gouvernement national en place. L’on sait que l’objectif des Armées régulières, en pareil cas, est d’éradiquer complètement l’insurrection, la victoire est à ce prix, alors que l’objectif des guérilleros est de continuer à prouver, n’importe comment, quelques fois avec un moindre effort, qu’ils sont toujours là. Pour cela, il suffit, par exemple, d’un engin explosif artisanal qui explose sur une route fréquentée pour donner une quasi-certitude à tous les observateurs que la capacité de nuisance du groupe armé non étatique est toujours intacte et que son éradication n’est pas pour demain. L’impact négatif de cette asymétrie des objectifs fixés par les uns et les autres et des moyens déployés, sur le moral des troupes est certain. Les victoires tactiques engrangées par les forces gouvernementales (élimination des chefs, arrestation des combattants, destruction des bases, etc.), ne conduisent pas nécessairement à des défaites réelles des insurgés.

2) Le coût de la guerre en hommes et en argent devient de plus en plus prohibitif au fil des années, sans parler de ses répercussions économiques et sociales sur les populations civiles.

3) Une demande politique et sociale forte pour le retour à la paix exprimée par tous les segments de la Société.

3. Négocier à petits pas

En 2017, la Conférence d’entente nationale du Mali a recommandé au Gouvernement d’« Instaurer un mécanisme permanent de dialogue entre l’ensemble des citoyens maliens sur les questions de paix et de réconciliation » (1).

En 2019, le « dialogue national inclusif » du pays, qui a réuni les principaux acteurs nationaux, a également plaidé en faveur de discussions avec tous les Maliens, y compris les dirigeants Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa (2).

Le cinquième pilier de la « feuille de route de la transition » du pays, adoptée en septembre 2020, fait écho à ces recommandations en proposant l’ouverture d’un dialogue avec les groupes armés radicaux. Le Premier ministre de la transition, Moctar Ouane (3), a fait clairement savoir que son Gouvernement a l’intention d’aller de l’avant avec les négociations engagées par le gouvernement de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta avant son éviction.

En octobre 2021, le deuxième Gouvernement de Transition annonce qu’il vient de mandater le Haut conseil islamique (HCI) afin d’engager des négociations avec les Groupes Armés Non Etatiques et quelques jours après, il dément cette information par la voie d’un communiqué officiel (4).

Il faut rappeler qu’en juillet 2020 dans la région de Mopti, les représentants locaux du pouvoir dans plusieurs communes de Koro (Dioungani, Diankabou, Madou, Bamba, Yorou et Barapereli) et Bandiagara (Sangha) ont directement négocié un accord communal de paix et de réconciliation avec le Front de libération de Macina (JNIM) et l’État islamique au Grand Sahara.

Dans la région de Niono (région de Ségou), les efforts pour trouver une solution au siège du village de Farabougou qui est encerclé depuis octobre 2020 par des djihadistes de la région de Kourmari ont vu la participation aux côtés des Groupes Armés Non Etatiques, des représentants du Haut Conseil Islamique Malien (HCIM) et des membres des communautés rurales de la région.

Le Premier ministre du Burkina Faso, dans son discours de politique générale devant l’Assemblée, a annoncé que les autorités du pays ont changé de position sur les négociations (5). Jusqu’à récemment, le gouvernement Burkinabè avait été très catégorique dans son refus d’engager un dialogue de quelque nature que ce soit avec les Groupes Armés Non Etatiques. Au Burkina Faso, les tensions semblent s’être apaisées dans la province du Soum (région du Sahel), tandis que l’absence d’attaques majeures pendant la période précédant l’élection présidentielle laisse penser qu’une trêve a pu être négociée.

Forts de toutes ces positions officielles et en dépit de la position française, des accords de réconciliation visant à réduire la violence communautaire et les tensions locales sont également en discussion, mobilisant en particulier les efforts de facilitation d’organisations non gouvernementales internationales telles que le Centre pour le dialogue humanitaire, Search for Common Ground, Geneva Call et Promediation. Ces initiatives locales embryonnaires, limitées dans l’espace et mal coordonnées, prouvent malgré tout que les efforts de consolidation de la paix, produisent des espaces de négociation et de recherche de la paix et de gouvernance locale.

Le Niger est le seul Pays qui n’a officiellement pas encore pris position sur les négociations avec ces « terroristes ». Il est utile de rappeler qu’il entretenait des relations épisodiques avec le groupe de jeunes Tolobés du Nord Tillabéry, entrés en rébellion depuis fin 2014. De Miliciens des tribus Peulhs à leur début, ce groupe va suivre l’EIGS, en 2017 et changer complètement d’agenda. Ils tueront, fin 2018, un envoyé du Gouvernement venu négocier la libération d’un otage américain (6). Depuis lors, les contacts directs ont pris fin, laissant la place à des messages portés par des personnalités religieuses ou coutumières.

La nomination de Moustapha O. Limam Echavi’i, conseiller spécial à la présidence du Niger (7) pourrait être une préparation à l’ouverture de pourparlers avec les insurgés. Cet homme d’Affaires polyglotte et fin connaisseur des arcanes du Sahel, garde d’excellents rapports avec les milieux islamistes dans la région.

4. Négocier avec qui ?

Il faudra négocier ou chercher à négocier avec trois grands groupes Djihadistes qui écument le Sahel :

• L’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) créé en 2015 (8) ;
• Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM) fondé en 2017 (9) et ;
• Ansaul Islam qui a commencé ses attaques en décembre 2016 (10).

5. Négocier comment ?

Dans la négociation, les Etats doivent éviter un tête-à-tête avec les Groupes Armés Non Etatiques, en cooptant de manière transparente des représentants des Communautés. En impliquant les religieux (11), la Société Civile (12), les Chefs communautaires (13), les communautés (surtout les jeunes), les Etats démontrent tacitement entre autres aux Groupes Armés Non Etatiques que leurs présences et leurs opérations n’indisposent pas seulement les Forces Armées et l’Administration, mais aussi toutes les populations autochtones.

Si les représentants de l’Etat arrivent à adopter une posture ambivalente de partie et de facilitateur des négociations entre les autres parties, ils auront gagné la première manche.

Les représentants des communautés et les responsables chargés de conduire les pourparlers doivent subir une formation qualifiante en techniques de négociations. Plusieurs ONG internationales spécialisées dans la médiation, offrent ce genre de formation. Des séances de travail doivent aussi réunir les équipes de négociateurs pour s’entendre sur la stratégie à adopter et le partage des rôles. Une évaluation de chaque round devra être faite pour tirer les conclusions et rectifier le tir en conséquence.

Pour faire d’une pierre deux coups, les Groupes Armés Non Etatiques désignent un ou plusieurs prisonniers comme ses représentants aux négociations. Le pays négociateur aura à les sortir de prison, ou demander leur libération à un pays tiers et les convoyer aux lieux choisis pour négocier.

6. Négocier où ?

Le lieu de la négociation est très important pour la quiétude des participants. Trois critères essentiels doivent être réunis pour le choix du site de négociation : la sécurité pour tous les participants, l’anonymat pour ceux d’entre eux qui sont recherchés et l’accès facile pour tous.

Trois lieux offrent la plupart de ces exigences : le Ghana, le Qatar, l’Arabie Saoudite.

• Le Ghana : Pays stable, accessible à tous les ressortissants ouest africains, sans passeport, l’appareil sécuritaire est le moins corrompue de la région, les citoyens de la CEDEAO vont et viennent sans entraves, ni tracasseries.

• Le Qatar : Pays accessible aux islamistes de tous bords, facile d’accès pour tous, relativement libéral, ayant abrité tout dernièrement les pourparlers entre les USA et l’Emirat Islamique d’Afghanistan.

• L’Arabie Saoudite : Le flux constant de pèlerins, tout au long de l’année, venus du monde entier couvre toutes les activités des uns et des autres. Il est aussi rare que les Groupes Armés Non Etatiques refusent de se rendre dans ce pays.

7. Négocier quoi ?

Six thèmes doivent être abordés par ordre d’importance pour les communautés :

1. La place de l’Islam dans la société (le Statut personnel, l’Education, la justice) ;
2. La réforme foncière ;
3. Les services de base (Santé, Education, eau, électricité, communication, routes, sécurité) ;
4. L’accès aux ressources minières, végétales et halieutiques ;
5. Le fédéralisme ou/et la régionalisation ;
6. Le retour de la paix (dispositions transitoires, les détenus, les otages, etc.).

Les thèmes ainsi déclinés montrent l’importance de la présence des communautés à la table de négociation pour défendre leurs convictions et leurs intérêts et exprimer leurs choix directement sans intermédiaires.

C’est la place de l’Islam dans les Sociétés Sahéliennes qui générera le plus de controverses, mais la solution pourra être trouvée dans la forme d’organisation de l’Etat où chaque entité (région ou entité fédéré) pourra choisir pour sa justice, pour son école et pour le statut personnel de ses citoyens, les formes, les orientations et les cadres qui lui conviennent, sans généralisation qui piétinent les différences et sans contraintes frustrantes.

La réforme foncière est elle aussi source de nombreuses polémiques, car le statu quo actuel est adossé à près de deux siècles d’histoire. Il est indéniable qu’il représente pour certains groupes une injustice flagrante qui alimente en partie les ressentiments et les frustrations et par voie de conséquence le conflit armé. En effet, l’appartenance sociale de l’individu à l’une ou l’autre des castes, est déterminante dans les droits d’accès, de contrôle et d’utilisation des terres agricoles.

Les autres points sont pour l’essentiel des problèmes de sous-développement et mal gouvernance qui peuvent trouver un début de réponse avec une régionalisation bien pensée ou carrément un système fédéral.

L’absence de l’état et de ses projets de développement dans de grands espaces du Sahel, est une des raisons de la proximité des populations avec les Groupes Armés Non Etatiques, en plus des exactions et des abus commises par les FDS et par les personnes représentant l’Etat qui déclenchent un rejet populaire, le meilleur terreau sur lequel croît le djihad dans les communautés sahéliennes.

Dans les conflits entre communautés riveraines, des recours internes étaient mis en œuvre traditionnellement, pour résoudre et contenir les différends. L’affaire se complique lorsque l’Etat, les riches trafiquants ou les hommes politiques interviennent (14). Les dispositifs traditionnels de médiation sont alors submergés par des forces hors de leur portée. La seule voie qui s’offre alors aux faibles protagonistes locaux est de se mettre sous la protection d’une force pour s’en servir comme bouclier et comme arme d’agression, le cas échéant. Ainsi, c’est pour lutter et se protéger contre les Razzia des Daoussaqs que les Peulhs Tolobé du Nord Tillabéry ont adhéré au MUJAO en 2011. Le MUJAO les a entrainés au maniement des armes de guerre et les a équipés de Kalachnikovs. Ils ont pu rendre coup pour coup aux Daoussaqs.

En conclusion, la négociation tout comme l’approche sécuritaire, ne pourra pas probablement venir à bout du ou des conflits, mais elle va neutraliser de larges segments des jeunes sahéliens qui ne sont mus que des intérêts objectifs réalisables, loin des convictions militantes irréductibles.

Moktar Aoufa


Notes et Références

(1) https://sahelresearch.africa.ufl.edu/files/CEN_dialogue-national-au-Mali-1.pdf

(2) https://www.rfi.fr/fr/afrique/20191222-mali-dialogue-national-inclusif-acheve-quatre-resolutions

(3) https://www.lepoint.fr/afrique/negocier-avec-les-djihadistes-une-solution-pour-le-mali-08-12-2020-2404709_3826.php

(4) https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/sahel-le-mali-veut-negocier-avec-des-groupes-djihadistes

(5) https://www.rfi.fr/fr/afrique/20210205-burkina-faso-les-autorit%C3%A9s-pr%C3%AAtes-%C3%A0-n%C3%A9gocier-avec-les-groupes-jihadistes

(6) L’humanitaire américain Jeffery Woodke enlevé à Abalak au Niger, en octobre 2016.

(7) Moustapha Limam Echavi’i nommé conseiller spécial du président nigérien – Kassataya Mauritanie.

(8) Ce groupe a récemment perdu son chef et son adjoint.

(9) Les responsables du groupe sont Ayad Ghali et Hamdo Kova, qui sont maliens.

(10) Le responsable de ce groupe est Malam Jaafar, du Burkina Faso.

(11) Le Haut Conseil Islamique au Mali qui a déjà montré son efficacité dans ce domaine, doit être associé à toute négociation, particulièrement son ancien Président Cheikh Mahmoud Dicko. Les autres pays disposent tous d’organisations faitières qui sont en mesure de jouer le même rôle, nonobstant leur marginalisation dans ces démarches jusqu’à présent.

(12) Impliquer des représentants de toutes les sensibilités de la Société Civile, éviter d’écarter les segments proches de l’Opposition, ceux qui sont en face connaissent bien qui est qui et ils verront dans cette marginalisation, un manque de sérieux.

(13) Beaucoup de jeunes issus des castes inférieures de la Société, sont entrés en rébellion contre la chefferie traditionnelle et n’obéissent plus à ses injonctions. Néanmoins, il serait utile de les faire participer, en les traitants cas par cas.

(14) Mr Cissé, enseignant à la retraite, notable de Mopti, nous disait en 2019, qu’ils (les communautés locales) essayent de résoudre leurs différends avec les voisins et avec les Autorités locales, sans se référer aux hommes politiques à Bamako qui exploitent à des fins politiques, ces problèmes, au lieu de contribuer à leur solution.

 

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