Retour des coups d’Etat en Afrique

Retour des coups d’Etat en Afrique

par Alice Carchereux

Depuis 2019, une vague de coups d’Etat a fait son apparition sur le continent africain, remettant ainsi en question les croyances selon lesquelles le continent aurait tourné la page de l’ère des coups après la fin de la guerre froide. Ces prises de pouvoir militaires ont eu lieu au Mali (août 2020 et mai-juin 2021), au Tchad (avril 2021), en Guinée (septembre 2021), au Soudan (octobre 2021), au Burkina Faso (janvier et septembre 2022) et dernièrement en date, au Niger (juillet 2023) et au Gabon (août 2023). Chaque coup récent a été motivé par des enjeux locaux divers. Si cette recrudescence des coups d’Etat ces trois dernières années peut sembler sans précédent, elle s’inscrit dans un arrière-plan historique de violences depuis les indépendances ainsi que dans l’effet continu de matrices coloniales de pouvoir.

Les ferveurs locales et les soutiens aux juntes qui ont suivi les prises de pouvoir peuvent s’expliquer par les impasses politiques de développement et les défis sécuritaires résultant de la prolifération des groupes armés. Or, la mise en avant de ces impasses tend à réifier les Etats africains à des Etats « faillis » ou « fragiles » propices au glissement vers l’autoritarisme et aux dérives putschistes. Les commentateurs qui brandissent les risques d’une épidémie de coups d’Etat en Afrique et tentent de trouver les voies pour endiguer leur montée, donnent raison à ces visions essentialistes. En réalité, nous supposons que ces analyses ont pour effet de négliger d’autres dynamiques complexes de pouvoir qui émergent en contexte post-coup d’Etat.

L’objectif de cet article est donc de proposer des pistes d’investigation sur la capacité des juntes à se légitimer auprès des populations ordinaires, légitimation qui consiste à faire preuve d’opportunisme en usant d’une stratégie d’extraversion, c’est-à-dire l’usage dans les jeux locaux des « ressources que procur[e] l[e] rapport – éventuellement inégal – à l’environnement extérieur » (Jean-François Bayart. L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion. Critique internationale no 5, 1999). Celle-ci se caractérise par la capacité stratégique à s’allier en fonction des contextes, à certaines puissances comme la Russie, les Etats-Unis ou la France. L’exercice de la souveraineté et l’extension des bases de pouvoirs sont alors rendus possibles par la construction de la dépendance sécuritaire et en matière de développement, autrement dit, la capacité des juntes à solliciter des partenariats ou à en décourager d’autres. Trois niveaux d’analyses permettent d’expliciter cette idée.

D’abord, les réactions internationales oscillant entre principes et pragmatisme, qui ont suivi les différents coups d’Etat : les sanctions peuvent varier en fonction du pays touché. Ceci permet d’éclairer les défis concernant les problématiques de stabilité et de sécurité qui priment parfois sur la démocratie, d’appréhender les rapports de force et les relations géostratégiques qui constituent des intérêts continus pour les juntes au pouvoir.

Ensuite, les engagements pris dans les secteurs militaire et sécuritaire : la manière dont les militaires interagissent avec la sphère politique joue un rôle crucial dans la légitimité qui leur est accordée. Ces derniers sont en mesure de solidariser la société autour de certains registres de sens et certains principes fondamentaux. Une attention est portée aux interactions poreuses par essence entre la société civile et les militaires ainsi qu’aux intérêts communs entre l’institution militaire et les civils.

Enfin, parce que les difficultés économiques peuvent constituer le principal moteur de la frustration populaire, les putschistes apparaissent comme l’ultime recours vers le développement social et économique. Il est ici question de la gestion des ressources au sein des Etats, moyen pour les juntes de se protéger des pressions et des sanctions internationales tout en préservant les relations avec certains partenaires internationaux à plus long terme. La légitimité des juntes à l’interne et la gestion des oppositions tient dans cette gestion des ressources économiques et minières dont les Etats disposent.

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