La « tente du dialogue » se veut une manifestation modeste et concrète du dialogue entre les civilisations

La « tente du dialogue » se veut une manifestation modeste et concrète du dialogue entre les civilisations

Dr. Abbas Aroua, Directeur de la Fondation Cordoue
Tribune de Genève, 25  juin 2004

TenteL’heure est à la mondialisation, au « choc des civilisations ». La diversité est perçue comme une menace. Certains estiment n’avoir rien à apprendre des autres civilisations et invitent chacun à se retirer sous sa tente.

Dans ce contexte international de plus en plus polarisé, notamment à la suite des événements tragiques du 11 septembre 2001 et ceux du 11 mars 2004, où certaines volontés de puissance et l’exacerbation des extrémismes de tous bords nourrissent la discorde, la suspicion et la haine entre les communautés, il est urgent de riposter à la tendance à la confrontation des civilisations par l’encouragement de l’ouverture aux autres civilisations. Au lieu de se retirer sous sa tente et la projeter en empire assiégé, il est nécessaire de l’ouvrir aux autres et d’y dialoguer.

C’est l’initiative que nous lançons à Genève, motivés par le désir de promouvoir une démarche d’entre-connaissance entre les cultures, et animés par l’esprit de Cordoue, cette ville appelée « capitale de l’esprit », qui reste un modèle, quasi-unique dans l’histoire, du dialogue entre les civilisations et de l’interfécondation des idées.

Mais pourquoi une « tente du dialogue »?

Sur la forme, dans la tradition arabo-musulmane, la tente – khaïma – n’est pas un espace de cloîtrement hautain, mais un lieu privilégié d’accueil, d’hospitalité, de convivialité et de rencontre avec les hommes et le divin. Dans la tradition judéo-chrétienne, la tente – tabernaculum – est un lieu de rencontre entre l’homme et Dieu, un endroit, parfois mobile, de prière ou un sanctuaire, donc un lieu de sagesse, propice à la réflexion profonde.

Sur le fond, si l’on veut échapper au piège dans lequel nous ont mis les adeptes de l’affrontement civilisationnel, annonciateurs de la fin de l’histoire, et éviter ainsi le pire, il n’y a d’autre alternative que le dialogue. Mais pas n’importe quel dialogue. Pour qu’il soit utile et efficace, il doit impérativement être authentique et sincère.

La reconnaissance mutuelle ne peut résulter de la juxtaposition de monologues parallèles, de discours courtois et flatteurs ou d’œcuménisme mondain. Seuls l’échange qui révèle les valeurs humaines communes et le questionnement qui soulève les différences de perception peuvent conduire à l’apprentissage mutuel qui dissipe les craintes, prévient les conflits et immunise contre la haine. La méfiance de l’Autre ne provient pas de sa différence, mais plutôt du fait qu’on ignore ou connaît mal ce qu’il est et ce qu’il pense.

Il est temps pour ceux qui croient à la nécessité du dialogue de dépasser la phase de professions de foi prononcées lors de colloques tenus dans des salles fermées. Ils doivent sortir dans la rue, rencontrer les gens et contribuer à la matérialisation des objectifs théoriques d’un tel dialogue par des actions concrètes, notamment à travers les arts aux langages souvent universels. Faire face aux tensions intercommunautaires n’est pas réservé à une élite; c’est l’affaire et le devoir de tous. Chacun doit s’y impliquer à son niveau et à sa manière. Il en est de même sur les plans politique, économique et social, où un (dés)ordre mondial comme celui que nous vivons, générateur de violence structurelle et source de conflits, n’a de chance de se transformer en un ordre de paix que lorsque la revendication de justice est devenue populaire, grâce au mouvement altermondialiste entre autres.

La « tente du dialogue » se veut un espace d’échange entre ceux qui croient qu’ils ont quelque chose à apprendre de l’Autre, et qui sont conscients que l’Autre, c’est ce qui leur manque pour devenir pleinement humains. Elle se veut une opportunité de rencontre des musulmans avec Genève et sa population, une manifestation modeste et concrète du dialogue des civilisations. Et grâce à l’aimable participation des Genevoises et des Genevois à cet événement, la « tente du dialogue » pourra s’inscrire la dans le paysage culturel local.

Etre ensemble sous une tente pour interroger, écouter, manger, boire et se distraire est un bon exercice de coexistence positive qui confirmera que la diversité constitue réellement une richesse et une force d’impulsion vers la paix.

Abbas Aroua
Directeur de la Fondation Cordoue
Article paru dans la Tribune de Genève du 25 juin 2004

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