Brahim Younessi – Islam-Europe : Une répulsion et une fascination séculaires

Brahim Younessi – Islam-Europe : Une répulsion et une fascination séculaires

Par Brahim Younessi – Confluences Automne 1996
 
La relation de l’islam avec l’Europe n’est ni nouvelle ni récente. Elle remonte à fort longtemps. Un siècle à peine après la naissance de la religion musulmane en Arabie, le monde de l’Islam remplace partout le puissant empire de Byzance et contrôle tout le pourtour méditerranéen.

 
Gaston Wiet mentionne que “la Méditerranée, ce lac byzantin sous Justinien, devint une mer arabe: les nations chrétiennes, écrit un historien arabe, ne pouvaient même plus y faire flotter une planche“.
 

André Miquel signale qu'”un débat fameux s’est engagé à ce propos, il y a quelques décennies, entre deux historiens de renom, Pirenne et Lombard. Le premier assurait que l’irruption des Arabes en Méditerranée (la mare nostrum des Romains) avait compromis, et pour longtemps, le rôle axial de cette mer dans les échanges du Vieux Monde, entravant ainsi l’essor de l’Europe. Lombard, lui, tenait pour la thèse inverse. La vérité, écrit André Miquel, est probablement, comme dans bien des cas, intermédiaire” (1).

Hichem Djaït qui, il y a trente ans, a consacré à cette question de l’Europe et de l’Islam un travail conséquent souligne l’hostilité de l’Occident à l’égard de l’islam triomphant et précise que “l’Occident chrétien, entre le VIIIème et le Xème siècle, a été atteint dans sa chair et dans son âme par les derniers prolongements de la conquête arabe, lors de son deuxième souffle. Ce monde menacé, qui, depuis des siècles, n’a pas connu le repos, n’a pourtant été touché par la vague sarrasine que sur ses marges: Espagne, Italie du Sud, Gaule méridionale“.

La rencontre de l’Europe avec l’Islam commence concrètement en 711,le Berbère Tarek Ibn Zyad remporte la bataille d’Algésiras, bat le roi Wisigoth Roderic et prend Tolède en 712. En 714 l’Espagne devient musulmane, elle porte le nom d’al-Andalous (Andalousie). En 720, les Musulmans s’emparent de Narbonne et tiennent Carcassonne. Battus devant Toulouse, ils interviennent en 724 dans la vallée du Rhône et atteignent la Bourgogne. En chemin vers Poitiers, ils sont arrêtés par les troupes de Charles Martel en octobre 732. Avec la bataille de Marignanen 1515, 732 est sans doute la date la mieux retenue par les élèves français. Poitiers a nourri les imaginaires de part et d’autre.

Les Musulmans considèrent que c’est la civilisation qui s’est arrêtée à Poitiers en 732. Les victoires militaires de Haroun ar-Rachid sur Byzance, plus d’un siècle après, ont eu un grand retentissement au-delà des frontières de l’empire musulman. Avec l’Etat carolingien de Charlemagne, le Calife échangea une ambassade. Et pourtant, “jusqu’à aujourd’hui, la confusion demeure établie dans les esprits, ce qui explique qu’un Marc Bloch parle des “repaires” des Arabes, de “leurs fructueuses razzias” et qu’il qualifie le Freinet du “plus dangereux des nids de brigands” (2).

On a également appris de Nikita Elisséeff que l’Orient méditerranéen était devenu pour les Occidentaux “la Terre Sainte” et que “l’existence de l’Islam mettait mal à l’aise l’Occident, parce qu’il y décelait une menace incommensurable et imprévisible; et ce qui troublait les hommes d’Occident, c’étaient sa vigueur et son rayonnement qui atteignent leur plénitude vers les IXème et Xème siècles“.

L’âge d’or

Le Xème siècle est sans conteste l’âge d’or de la civilisation islamique qui prend son essor et atteint son apogée dans toutes les disciplines: la littérature, la philosophie, les sciences, les arts. Comme disait Charles Pellat, les Musulmans cultivaient le culte de la poésie et des belles-lettres. Dans le domaine de la poésie et de la littérature quelques noms méconnus du grand public occidental y compris d’hommes et de femmes cultivés, témoignent de la richesse de la prose arabe et de l’adab (belles-lettres) quia fasciné nombres de littérateurs européens: Al Djahiz, at-Tawhidi, Abu Nuwas, ‘Umar Khayyam; en philosophie, on retient généralement les noms d’al-Kindi, d’al-Farabi, d’Ibn-Sina (Avicenne), d’Ibn Hazm, d’Al-Ghazali, de Fakhr ad-Din ar-Razi et d’Ibn Rochd (Averroès). Par eux a été transmise la philosophie grecque à l’Europe qui occulte ce fait majeur dans le développement intellectuel du Vieux continent.

En matière de sciences, qui connaît aujourd’hui en Occident le grand mathématicien, père de l’algèbre, Mohammed Ibn Musa al-Khwarizmi, al-Hakim, al-Biruni, Ibn al-Haytham, Ibn ar-Razzaz al-Djazari, auteur d’un important traité de mécanique qui a pour titre Le livre de la connaissance des mécaniques ingénieuses, des astronomes comme al-Battani et IbnYunus, des géographes tels que Ibn Hauqal et Muqaddasi? De très nombreux savants musulmans sont littéralement exclus de la connaissance universelle et relégués aux oubliettes par le sacro-saint collège des hommes de sciences. Rares sont les références aux savants de l’Islam, pourtant fondamentaux dans le développement des connaissances scientifiques et dans l’histoire des sciences. Hichem Djaït relève que “durant le haut Moyen Age, l’Occident, confiné dans des horizons étroits, n’a pas pu sécréter une vision cohérente et suffisamment informée de l’Islam“. Le XXème siècle occidental ne semble pas plus avoir une vision correcte et cohérente sur le monde de l’islam. Il est vrai que nous sommes en présence de deux systèmes de religion totalement différents et en présence également de deux systèmes sociaux aussi dissemblables qu’opposés. Nikita Elisséeff indique que “l’Occident constituait une société agraire, féodale et monacale, à un moment où la force de l’Islam reposait sur de grandes cités, des cours opulentes et sur un système de longues voies de communication par mer, par terre et par les fleuves. L’un était renfermé sur lui-même, l’autre s’ouvrait au monde et même l’envahissait“.

L’islam est sans doute objet à la fois d’une grande fascination et d’un rejet relevant en même temps de la crainte et du dogme chrétien. Pour Hichem Djaït, l’Occident chrétien nourrissait deux visions sur l’Islam, celle du monde populaire et celle de la scolastique. La croisade favorisait la première et la confrontation islamo-chrétienne en Espagne la seconde. L’auteur de L’Europe et l’Islam précise que “l’une se déployait au niveau de l’imaginaire, l’autre au niveau du rationnel. Dans la littérature populaire, les musulmans étaient des païens et Mahomet un magicien (…). Et la Chanson de Roland, de son côté, présente les Sarrasins comme des idolâtres de Tervagan, mêlant l’épique à l’extravagant. Dans la vision érudite, par contre, il y avait un savoir préalable. Grâce au corpus de Cluny (1143), à la traduction du Coran par Ketton, la controverse scolastique s’est nourrie, pourrait-on dire, à la source“. Jérusalem est prise par les Seldjoucides en 1071, Antioche est conquise sept ans plus tard. La pensée religieuse d’Occident admet “le droit de tuer“, à telle enseigne qu’Alphandery parle de “la théologie de l’action armée“. Le pape Urbain II prépare la première croisade en vue, prétendait-il, de récupérer les terres qui appartenaient à l’Eglise. Saint-Sépulcre et Jérusalem ont, incontestablement, constitué, pour la chrétienté, les lieux pour lesquels le sang doit être versé au nom de la religion. Les chrétiens d’Occident devaient délivrer les chrétiens d’Orient de la “domination” musulmane. Les chrétiens d’Orient bénéficiaient alors du statut de protégés (dhimmîs) payant l’impôt de capitation (djizia) et n’étaient aucunement menacés par les musulmans. Au concile auquel il s’adresse à Clermont, Urbain II déclare: “C’est de vous que Jérusalem attend de l’aide parce que Dieu a accordé à votre nation plus qu’à toute autre l’insigne gloire des armes.” “Gesta Dei per Francos (les Œuvres de Dieu par les Francs) appelleront l’absolution entière de leurs péchés à tous ceux qui iront massacrer les infidèles, le meurtre d’un ennemi, lance-t-il, étant agréable à Dieu“. Des troupes sont levées partout en France et en Germanie aux cris de “Dieu le veut“. Jérusalem inondée de sang par les guerriers chrétiens, est prise d’assaut le 14 juillet 1099 par Godefroy de Bouillon. “70.000 Musulmans, hommes, femmes et enfants sont massacrés jusque dans la mosquée d’Omar” (3).

Les sept croisades, étalées sur près de deux siècles, de 1099 à 1254 pour la dernière, sont devenues une menace permanente; Jérusalem est néanmoins prise définitivement par les armées musulmanes en 1244. L’évocation du seul nom de Salah ad-Din al-Ayyoubi (Saladin) qui a fait face à la troisième croisade (1189-1192) conduite par Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, Frédéric Barberousse, empereur d’Allemagne et Phillipe Auguste, roi de France, provoque des passions aussi bien dans le monde musulman que dans le monde chrétien. Selon Emile G. Léonard,”l’héritage réel des Croisades devait être ailleurs: dans les missions, qui les avaient doublées modestement depuis le XIIIème siècle; dans la reprise du grand commerce avec l’Asie, dont le nom de Marco Polo illustre les débuts; dans les grandes découvertes de la fin du XVème siècle, puisque leurs promoteurs et leurs réalisateurs, cherchaient, autant que l’or et les épices, à joindre, par derrière l’Islam, l’énigmatique Prêtre-Jean, le roi noir ou jaune.”

Le début de la dislocation de l’empire musulman au XIIIème siècle avec la “révolution” mongole de Gengis Khan, entraîne l’irrémédiable chute du califat abbasside qui a bénéficié durant cinq siècles d’un grand retentissement en Europe, auquel le conte des Mille et une nuits n’est pas étranger. Alors que l’Europe change, se transforme et se développe, le monde musulman, demeuré jusque-là indifférent à l’Occident, parce qu'”il l’ignorait, n’en n’ayant rien à tirer” (4) entame une ère de stagnation et de régression.

Il reste que les préjugés médiévaux se sont insinués dans l’inconscient collectif de l’Occident à un niveau si profond qu’on peut se demander, avec effroi, s’ils pourront jamais en être extirpés” (5). Dans une atmosphère de dislocation et de désagrégation, le Monde musulman continue encore de produire de grandes œuvres, en particulier en Espagne, dans le royaume de Grenade où l’Alhambra illustre, aujourd’hui, le génie architectural des musulmans, le génie littéraire étant, lui, représenté au milieu du XIVème siècle par le géographe Ibn Battuta qui, par ses voyages, a fait rêver des générations de jeunes comme le fit avant lui le vénitien Marco Polo, et le fondateur de la sociologie, Ibn Khaldoun, trop longtemps ignoré en Occident. L’œuvre d’Ibn Khaldoun, traduite entre1862 et 1868 par le baron De Slane, est maintenant considérée comme l’un des sommets de la pensée médiévale.

La Reconquista espagnole est à l’œuvre depuis le XIème siècle. Ferdinand de Castille a déjà donné une impulsion à la lutte antimusulmane. Le recul de l’empire musulman se confirme au XVe siècle. En 1492, le royaume de Grenade succombe sous les coups des “majestés très-catholiques”. La passion est à son paroxysme quand intervient en 1571 la défaite des Ottomans à la bataille de Lépante. Mohamed Arkoun considère très justement que cette date “offre un bon repère chronologique pour dater le renversement définitif des rapports de forces entre la puissance “musulmane” et la puissance “chrétienne”. Nous vivons, dit-il encore, en ce vingtième siècle finissant, les suites désastreuses de ce processus historique. On continue à s’invectiver en utilisant des théologies conçues comme des systèmes culturels d’exclusion réciproque.” L’Europe moderne née de la Renaissance et de la Réforme,  l’Europe des Lumières continuent, chacune à sa manière, de prendre l’islam comme cible. Voltaire s’y intéresse et exprime son hostilité farouche à l’islam dans son opuscule: “Mahomet ou le Fanatisme“. L’islamophobie de Constantin François de Chasse-Bœuf, comte de Volney est encore plus irritante, plus provocante, plus passionnelle.

Le XIXème siècle inaugure la colonisation européenne des peuples musulmans, l’empire ottoman perd une à une ses provinces de l’Occident musulman, l’Algérie est sans doute le cas le plus emblématique. “Vous êtes à présent dominés par le roumi (l’étranger), jugés par le roumi et administrés par le roumi… Il utilise vos mosquées à des fins profanes. Il a pris vos meilleures terres et les a abandonnées à son propre peuple. Il a acheté la vertu de vos femmes… Le jour de votre réveil est venu ! Levez vous tous au son de ma voix ! Oh, musulmans, Dieu a placé entre mes mains cette épée de feu, et nous irons de l’avant en fertilisant les plaines de notre pays avec le sang de l’infidèle“, déclarait l’émir Abdelkader à son peuple qui vient de l’élire sultan en 1832. En 1855, dans ses Lettres aux Français, en conclusion de son épître, il rend pourtant hommage à la France dont il estime qu’elle a pris de l’autorité et que les “Français avaient des rois auxquels personne, parmi les souverains non-arabes et arabes de ce temps-là, ne pouvait être comparé. Les nations leur furent soumises et les sciences se mirent à fleurir en abondance chez eux, ainsi que les connaissances pratiques. Si bien qu’ils se mirent à désirer ardemment l’acquisition des vertus, et qu’il ne resta plus dès lors de gloire à partager entre Grecs et Romains. Les habitants de la France devinrent ainsi un modèle pour tous les hommes dans le domaine des sciences et du savoir” (6).

Correspondant à Paris du journal anglais The Northern Star (l’Etoile du Nord), Engels écrit le 22 janvier 1848, soit quelques semaines après la reddition de l’Emir Abdelkader en décembre 1847: “En gros notre opinion est qu’il est très heureux que le chef arabe ait été pris. La lutte des Bédouins était sans espoir, mais bien que la façon dont la guerre a été menée par des soldats brutaux comme Bugeaud soit très condamnable, la conquête de l’Algérie est un fait important et propice au progrès de la civilisation. (…) Et si l’on peut regretter que la liberté ait été détruite, nous ne devons pas oublier que ces mêmes bédouins sont un peuple de voleurs dont les principaux moyens d’existence consistaient à faire des incursions chez les uns et les autres (…). Après tout, continue Engels, le bourgeois moderne, avec la civilisation, l’industrie, l’ordre et les “lumières” qu’il apporte tout de même avec lui, est préférable au seigneur féodal ou au pillard de grand chemin, et à l’état barbare de la société à laquelle ils appartiennent” (7).

Une fois encore, revenons à Hichem Djaït qui a abordé le cas d’Ernest Renan qui eut dans le XIXème siècle orientaliste une place à part, tellement ses écrits sur l’islam sont véhéments et sévères. “L’Orient musulman, écrit Ernest Renan, battait l’Occident, avait de meilleures armées et une meilleure politique, lui envoyait des richesses, des connaissances, de la civilisation. Désormais les rôles sont changés. Le génie européen se développe avec une grandeur incomparable; l’islamisme, au contraire, se décompose lentement; de nos jours, il s’écroule avec fracas. A l’heure qu’il est, la condition essentielle pour que la civilisation européenne se répande, c’est la destruction de la chose sémitique par excellence, la destruction du pouvoir théocratique de l’islamisme, par conséquent la destruction de l’islamisme; car l’islamisme ne peut exister que comme religion officielle; quand on le réduira à l’état de religion libre et individuelle, il périra. L’islamisme n’est pas seulement une religion d’Etat, comme l’a été le catholicisme en France, sous Louis XIV, comme il l’est encore en Espagne; c’est la religion excluant l’Etat, c’est une organisation dont les Etats pontificaux seuls en Europe offraient le type. Là est la guerre éternelle, la guerre qui ne cessera que quand le dernier fils d’Ismaël sera mort de misère ou aura été relégué par la terreur au fond du désert. L’Islam est la plus complète négation de l’Europe; l’islam est le fanatisme (…); l’islam est le dédain de la science, (…); c’est l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une éternelle tautologie: Dieu est Dieu. L’avenir, Messieurs, est donc à l’Europe, et à l’Europe seule” (8).

Depuis le XVIème siècle, le monde musulman est en déclin, la Renaissance est européenne. Des concessions (capitulations) sont faites à la France, à la Pologne, et à Venise par Souleyman le Magnifique dès 1535. En 1580, Murad III accorde à l’Angleterre les mêmes capitulations qu’à la France, puis en 1612 les Hollandais les obtiennent à leur tour. Avec l’affaiblissement de l’Empire ottoman, presque tous les pays d’Europe reçoivent les mêmes avantages. Les Capitulations sont des traités de faveur consentis par la Sublime Porte, à l’époque de sa toute puissance et dans la plénitude de ses droits souverains, aux sujets des puissances chrétiennes qui résident temporairement ou d’une manière permanente sur tous les territoires soumis à sa domination. Sous le régime des Capitulations, les étrangers qui en bénéficiaient n’étaient pas soumis à la loi turque, ne payaient pas d’impôts; leurs domiciles et leurs magasins étaient inviolables; ils ne pouvaient être arrêtés si ce n’est sur l’ordre de leurs propres consuls. Les litiges entre étrangers étaient tranchés par les tribunaux consulaires des défenseurs suivant la loi de leur pays.

En 1650, Hadji Khalifa consacre un ouvrage à l’Occident qu’il intitule Guide pour ceux qu’intrigue l’histoire des Grecs, des Romains (Byzantins) et des Chrétiens. Il y dénonce la faiblesse des écrivains musulmans sur la question de l’Europe à laquelle ils ne s’intéressent guère. C’est là une des premières manifestations d’une prise de conscience du danger occidental et de la nécessité de comprendre les systèmes européens.

Les premiers voyages en Europe débutent au début du XVIIIème siècle sous le règne du sultan Ahmed III qui inaugure “l’ère de la tulipe”. Les Ottomans vont se rendre compte sur place des changements et des progrès de l’Europe qui fascine les écrivains et les élites musulmanes. Celebi Mehemet et son fils viennent en France. Celebi Mehemet décrit tout ce qu’il découvre: hôpitaux, musées, observatoires, ports, jardins zoologiques et botaniques, s’intéresse à l’imprimerie qu’adoptera Ibrahim Mutaferrika en 1727. L’art et la technique militaire subjuguent tous les visiteurs, au point que Mahmud Ier fait appel à des étrangers, en particulier des Français, pour organiser l’armée ottomane, mais les techniciens étrangers devaient se convertir à l’islam, ce que fit le comte de Bonneval (1675-1747). Cette exigence est supprimée par Abdulhamid Ier qui a recours aux étrangers dans de très nombreux domaines. Saïd, le fils de Celebi Mehemet apprend le français, le maîtrise et le parle excellemment. Des étudiants sont envoyés en France, parmi eux, l’Egyptien, Rifa’a Rafic Attahtaoui (1801-1873). Il traduira le Code civil français et suggèrera l’introduction dans son pays d’un système constitutionnel de gouvernement. A l’exemple de l’Europe, l’Egypte modernise son système d’enseignement et crée une imprimerie pour éditer des ouvrages d’instruction en 1821 ainsi qu’une Faculté de médecine, fondée au Caire en 1827.

En Algérie, les musulmans revendiquent la reconnaissance de leurs droits de citoyens, au nom de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’émir Khaled, petit-fils d’Abdelkader, se fit le chantre et le champion de ce combat pour les droits civils et politiques des Algériens musulmans. Ce “contentieux” islam-Occident est expliqué de façon éloquente par Mohamed Arkoun, sur les propos duquel nous conclurons notre évocation: “Il y a d’abord, dit-il, la phase connue de la colonisation, légitimée par le discours sur le caractère universel, humaniste, de la civilisation occidentale et chrétienne. Elle va déboucher sur les guerres de libération, dont l’exemple-type est la guerre d’Algérie, de 1954 à 1962. Puis, après les indépendances, vient la phase de ce que j’appellerai la “coopération économique et culturelle”. Et là naît un déséquilibre aux grandes conséquences. Sous-développés sur le plan économique, social et culturel, les musulmans acceptent mal la grande rupture entre leur passé glorieux (l’islam classique des historiens) et leur cruel dénuement d’aujourd’hui. Ils ont le sentiment que les Occidentaux veulent leur imposer, clés en main, une modernité pour laquelle ils ne sont pas prêts, parce qu’ils sont demeurés, depuis le XVIe siècle, à l’écart de son élaboration. Dans les années 50 à 70, les relations entre l’Occident et le monde islamique sont dominés par le postulat (et la réalité) de la supériorité de l’Occident. (…)“.

 

Notes

1 André Miquel, “De la foi au pouvoir”, in Les Arabes, Fayard, Paris, p. 168.

2 Hichem Djaït, L’Europe et l’Islam, éditions Le Seuil, Paris, p. 17.

3 Gabriel Bonnet, La France et l’intolérance, Editions Roblot, p. 32.

4 Hichem Djaït, op. cit.

5 Idem.

6 Abdelkader, Lettres aux Français, Editions Phébus, p. 227.

7 Marxisme et Algérie, Textes de Marx/Engels, collection 10/18.

8 Ernest Renan, in Qu’est-ce qu’une nation?, Presses-Pocket, pp. 197-198.

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